Peintures
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Extrait du livre "Une photo qui lentement s'efface"
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Vie était le joli surnom de Viviane Munster.
Elle passait un mois entier chaque été à Puyharas, un mas, situé sur la commune de Banon, dans les Alpes de Haute Provence. J'y organisais avec Blandine mon épouse des stages de peinture, poterie, sculpture, vitrail, mosaïque, photo, danse, gravure, etc.
Un jour, l'ami de Vie, propriétaire de la Galerie Vendôme de Paris, vint lui dire un petit bonjour.
C'est après cette visite que je devais me séparer des tableaux que j'avais peints dans ma jeunesse. Je regrette aujourd'hui de les avoir tous vendus. Ces premières toiles avaient été faites par plaisir, sans avoir l'idée de les vendre un jour. Elles restaient des traces des moments d'émotions de ma vie passée. Lorsqu'Ariel Brami me prend en main, en 1983, il décrète une valeur à mes tableaux. Je trouve les estimations exagérées et comme je n'aurais jamais acheté mes toiles aussi chères je doute que la Galerie réussisse à me vendre.
Je me trompais car la puissance de frappe de la Galerie, qui en plus du 12 rue de la Paix, possèdait en propre trois autres galeries et fournissait plus de quarante Galeries en France.
Lorsque j'exposerai en Province, sur les affiches sera noté que je suis un "poulain" de la grande galerie de Paris. Ma timidité, à cette époque fait que je vis très mal les vernissages.
J'essaie de peindre et d'écrire, mais pour parler, j'étais et je reste maladroit !

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Je découvre vite les arcanes du marché de l'Art.
Lors d'une expo à Grenoble " Au vent des Cimes ", un homme pressé ne prend pas le temps de regarder les toiles et ne cherche pas à savoir qui je suis. Le propriétaire de la galerie m'annonce qu'il vient de vendre trois tableaux. Je lui demande lesquels ? Je ne sais pas encore, me dit-il. L'acheteur le laissera choisir.
Et d'apprendre que cet amateur d'art est fils et petit fils de grands collectionneurs.
Il a vendu un seul Van Gogh pour vivre bien à l'aise toute sa vie.
Il a vendu un seul Modigliani pour assurer l'avenir de ses descendants.
Il achète trois toiles à chaque peintre envoyé sur Grenoble par les grandes galeries parisiennes. Sur le nombre, il est certain d'être gagnant. Il y aura toujours des peintres qui vaudront des fortunes dans le futur ! Mes regrettés tableaux sont coincés dans le noir d'un coffre pictural pour un temps sans doute infini car je doute fortement de ma future valeur marchande !
En quelques expositions tous les murs de Puyharas se vidèrent de mes souvenirs, alors il me fallut produire !
Ariel Brami avait programmé deux expos par an.
Il me fallait être prêt aux dates annoncées et je devais pondre un minimum de 60 tableaux par an !
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Et le cauchemar commença ! Je découvrais alors l'angoisse de la toile blanche.
Peindre sur commande c'est manger sans avoir faim, boire sans avoir soif.
C'est faire l'amour sans être amoureux.
Je me retrouve prisonnier de mon chevalet et de mes pinceaux. Dès 8 heures du matin j'attaque sans conviction. Au mur un calendrier et, entouré de rouge, la date fatidique de la prochaine expo. J'ai seulement quatre jours par toile, pas davantage sinon je prends du retard ! Je ne pars plus à cheval, je prends juste un quart d'heure de temps en temps pour détendre mon dos. Je dors de plus en plus mal. Je fume comme un pompier et je me bourre de café.
Je n'arrive à m'endormir qu'en posant mon bras droit sur un gros oreiller. Pour parvenir à être dans les temps, je dois subir une cure de mésothérapie dans mon épaule droite ! Le pire c'est que je n'ai plus aucune idée. Je dois trouver l'inspiration dans mes souvenirs des toiles que j'ai vendues sans en avoir pris les photos !
Un jour de 1998 j'annonce à Ariel Brami que j'arrête cette galère.
Il me fallut quelque temps pour me remettre à peindre.
J'avais été dégoûté par l'obligation de respecter une facture unique de façon à être reconnu au premier coup d'oeil.
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Pendant 15 ans de 1983 à 1998 ma côte montait toute seule.
A cette époque bénie tout prenait de la valeur. Vers l'an 2000 tout commença à se dégrader.

Et les mauvaises galeries de peintures, les une après les autres, commencèrent à fermer.
Mais la Galerie Vendôme à Paris et le Vent des Cîmes à Grenoble ont bien résisté et elles existent toujours...

S'il me fallait exprimer quelques pensées profondes pour satisfaire la curiosité des intellos des vernissages, je pourrais leur dire que les peintures dites "achevées" sont mortes. Que le plaisir de peindre est connu du seul peintre. Un film de la toile en devenir avec ses métamorphoses successives pourrait seul faire découvrir la vraie vie et la vraie richesse d'une création. Souvent je décroche un vieux tableau qui s'ennuie d'être fini. Alors je lui redonne un peu d'une nouvelle vie et je sais qu'il se plaît à aller à nouveau vers un futur inconnu.
C'est sans doute la raison qui fait que jamais un tableau ne me donne pleine satisfaction.

Je ne peux pas être génial car je suis un peintre heureux. Heureux et libre. Libre de peindre sans aucun style imposé.
Chaque toile reste une aventure, une découverte. Peindre pour le plaisir.
Du figuratif à l'abstrait en passant par le néo cubisme et le surréalisme. Depuis 1998 je ne vends plus mes tableaux.
Je fais ce qui vient, en toute liberté, et je me régale.

Il me fallut avoir 65 ans pour oser affronter et découvrir la fée informatique.
Ecrire m'était devenu possible et j'avais tant de choses à dire ...
Il me fallut 3 années pour achever mon premier livre édité en 2009. En 2017 est prévue la naissance de mon septième bouquin.
Avoir 76 ans est une forme de maladie, et aux fils des ans, j'abandonne un à un les privilèges de la jeunesse.

Mais vieillir ne m'est nullement pénible. Là est la grande chance du pouvoir créatif. Je continue à peindre et à écrire et mon cerveau, mon imagination me permettent de revivre avec intensité tout ce qui faisait le sel de mon passé.

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