o
Extraits du livre
"Amours insolites en vallée de Banon"
o
Quatre nouvelles. Un petit extrait chacune
o
La malédiction de Montsalier

Le village ruiné de Montsalier le Vieux ne doit être visité qu'en plein hiver, par temps de froidure et lorsqu'un Mistral furieux hurle de rage.Vous devez y pénétrer à la tombée du jour, avec crainte et respect, il vous faut choisir le moment où le soleil bascule d'un coup derrière la ferme des Aupillières, entre la Gravade et le gouffre béant du Caladaire. A cet instant précis où l'ombre creuse la Grande Combe, le vent mauvais déchaîne ses dernières violences. Alors le trop vieux tilleul qui trône au centre de la placette, juste au pied de l'église désertée, se plie et se met à gémir. Le Grand Mistral joue de l'orgue avec la montagne, du basson avec la vallée profonde de la Grande Combe, de la flûte de Pan avec la bouche grimaçante du Gouffre de Caladaire et de la harpe avec les ronces qui règnent en maître dans cet univers désolé. Le village fantôme, avant de disparaitre dans la noirceur de la nuit, découpe le squelette de ses murs délabrés sur la splendeur illuminée de la Montagne de Lure. Les immenses forêts de chênes, encore parées de leurs feuilles brunes, sont caressées par les derniers rayons du soleil. Alors, les douces courbes de la sensuelle montagne se couvrent de cuivre en fusion.
Dans le lointain les Alpes enneigées dominent le Plateau de Valensole et les Gorges du Haut Verdon. Puis le spectacle grandiose s'éteint.
Le ciel lavé de tout nuage et de toute humidité, telle la lame brillante d'une guillotine d'acier découpe avec netteté la ligne des courbes sensuelles de la crête de la Montagne de Lure. C'est une immense femme allongée qui s'apprête pour la nuit. Puis, la grande vague de calcaire disparaît dans la nuit noire. Alors, avec le scintillement des premières étoiles, d'un seul coup le Mistral se calme.
Il est parti se cacher dans les vallées de la Drôme et des Hautes Alpes. Il ne reviendra qu'au petit matin. C'est avec les premiers rayons du soleil qu'il se lèvera furieux. Mais pour l'heure, plus le moindre souffle d'air.
Le gel arrive comme un voleur, il profite du silence total pour fondre sur le village martyrisé. Il ne peut rien contre les pierres aussi il envahit les crépis et les joints où il sait trouver l'eau, sa fidèle alliée. La glace cette force terrible et hypocrite gonflera les vieux pans de murs en les rendant plus durs que l'acier.
Une trompeuse et dernière étreinte de mort. Avec le dégel, la ruine, petit à petit, grignotera les murs encore debout. Pierre après pierre ou par pans entiers, tout finira par s'écrouler....
Il me faut donc vous raconter l'histoire de ce village.
C'est au cours d'une nuit glaciale et sous un ciel scintillant, que mon âme romantique et ma grande imagination me firent entendre les voix des hommes et des femmes du passé…
Je fus transporté au temps de la moisson en l'An 1718.
A Montsalier le Haut, de nos jours comme par le passé, il fait toujours du vent.
Il n'y a pas d'eau, mais il vente sans cesse.
On ne peut pas tout avoir !
En cet été 1718 il fait très chaud mais il souffle un petit vent idéal pour battre le grain. Le travail se fait, dans la bonne humeur. Il le faut, pour garder le moral !
Tôt levés et couchés lorsque l'on n'y voit plus rien.
Tout le village est là, pour cette tâche épuisante, les hommes comme les femmes. Les fléaux tombent sur l'ère de battage de la grande calade empierrée. Il est très important d'être vigilant pour ne pas blesser son voisin. Il faut aussi être prudent et éviter de se mettre à côté de celui avec qui on a eu, récemment ou autrefois, un petit différent.
On ne sait jamais, il y a toujours quelques vieilles rancunes qui rongent les âmes !

Angèle est un sacré beau brin de fille. C'est la beauté du village.

Tous les hommes rêvent de ses grands yeux verts et de son corps. Lorsqu'une femme se met à coté d'Angèle, aussitôt, il se trouve un homme pour s'interposer et la protéger d'un éventuel accident.
Un coup de fléau…
Rares sont ceux qui en sont revenus…

La belle Angèle ne rechigne pas à l'ouvrage, un sourire toujours accroché à ses jolies lèvres. Mettre de la grâce dans le lancer du fléau et dans le moindre de ses gestes, savoir avec délicatesse essuyer la sueur de son visage et de ses bras à l'aide de son grand foulard, puis le nouer autour de sa taille si fine.
Angèle fait ces gestes simples de paysanne avec l'élégance et le charme d'une grande dame. Aucune malice, aucune volonté de séduire dans ses manières. Angèle est seulement terriblement féminine et toute sa personne appelle l'amour des hommes !
Le visage d'Angèle avec sa peau de porcelaine est piquetée de fleurs dorées semées par le soleil. Sa longue chevelure rousse, douce et ondulée comme la crinière d'une jument de race, la finesse de son cou, de ses bras, de ses chevilles et de ses mains, la délicatesse de ses longs doigts et surtout la rondeur de ses hanches :
une telle beauté ne pouvait qu'amener le malheur.

o
o
o
La Combe de Valsaintes

Parfois, je suis à court d'idées et je n'arrive plus à poser sur la toile le premier trait où la première touche de couleur. Je suis tout aussi incapable d'écrire le premier mot ou la première phrase qui ouvrira les vannes de mon imagination. L'ennui, cet ennemi de la création, essaiera de m'attirer dans le mirage de l'oisiveté. La fatigue accumulée, elle aussi me poussera à perdre mon temps dans des siestes inutiles et ma vie se perdra dans l'inconscience du sommeil. Alors, je sais qu'il me faut réagir. Je sors de mon atelier et dans la remise je cherche mes vieux godillots de marche. Ils sont aussi raides que ma vieille carcasse. Avec quelques douleurs, je parviens à les chausser. Le cuir de ces godasses est usé et strié des balafres des silex des chemins et des griffures des églantiers envahissants. Ces épineux doivent leur prolifération aux graines qui germent dans les fientes que les oiseaux des bois dispersent par giclées crémeuses au hasard de leurs quêtes nourricières.
Je marche à travers les collines.
L'air pur envahit mon cerveau et le nettoie de l'excès et de l'accumulation des questions sans réponses que je me pose et qui finissent par encrasser mes minuscules neurones. Alors, ma tête se vide comme la corbeille d'un ordinateur et la surface brillante et propre de mon crâne devient l'écran géant d'une géode où se projettent en Imax 3D les doux paysages du Haut Pays.
Il y a 20 ans, j'étais perdu dans l'immense forêt de Fuyara. Là, il y a fort longtemps habitait un ermite... C'est l'esprit léger et purifié que j'essaie de retrouver une fermette isolée et cachée au creux douillet de la Combe de Valsaintes. L'automne venait de s'installer avec son chevalet et ses pinceaux.
Délicatement, avec le talent et la patience d'un Georges Seurat, la saison mélancolique déposait en grande artiste pointilleuse mille nuances orangées, mordorées, ou rougeâtres sur les feuilles encore vertes et brillantes de vie.
Au lieu de laisser à mon cheval le soin de retrouver notre route, je m'acharnais à le diriger, persuadé que j'étais de la grande supériorité de ma matière grise de primate. Évidemment nous ne cessions de tourner en rond et le soir pointait au travers des hautes futaies son vilain museau noirâtre, annonciateurs de monstres nocturnes et autres loups garous…
Les jambes de ma monture se mirent à disparaître lentement dans la brume sournoise qui montait du lac de Valsaintes.

o
o
o

Simples d'esprit et fous d'amour

Le bûcheron sortit du coma.
L'hôpital des Hautes Alpes pouvait se féliciter.
Casimir était la fierté des médecins qui l'avaient sauvé.
Il revenait de loin, un vrai miraculé...
Il fut impossible de trouver un parent à prévenir.

Le secrétariat de l'hôpital ne disposait que d'une carte d'identité et d'un numéro de sécurité sociale. Le document indiquant le nom du blessé était dans un lamentable état, à l'image des haillons du travailleur des bois. Le paysan qui l'avait embauché pour débarder son coin de forêt et qui l'avait amené inconscient, eut droit à un violent sermon des gendarmes, furieux de ne plus avoir de traces de la scène de la tentative d'assassinat. Pour une fois qu'il y avait un peu de distraction dans cette montagne perdue...
Le brave homme connut ainsi les joies de la garde à vue.

Mais pourquoi que j'aurais voulu tuer le pauvre Casimir ? Il ne possédait rien en dehors de ses deux immenses mules, un jeu de haches et de limes, une tronçonneuse et des harnachements avec leurs grosses chaînes pour tirer et hâler les grumes ! Bon sang, vous n'avez donc rien à foutre pour venir m'emmerder !
Il n'est même pas mort !

Il fallut que le Maire de la commune qui avait recommandé le rude travailleur des bois à notre paysan, intervienne en sa faveur. Ainsi que le directeur de l'hôpital qui affirma qu'il avait sauvé la vie du bûcheron en le transportant sans attendre les secours. Pour une fois, cela a sauvé une vie ! Certes, si la colonne vertébrale avait été touchée, il l'aurait achevé. Dans ce cas vous auriez pu le suspecter de meurtre, à condition de trouver un mobile...
Le maire déclara connaître Casimir. Il était du pays.
Mais il vivait au milieu des bois, dans une hutte couverte d'une vieille bâche, avec comme seuls compagnons ses mules de travail. Il ne parlait jamais à personne. Le Maire, longtemps, le crut muet. Un vrai sauvage, on ne l'avait jamais vu au café, c'est tout dire !
Un ours quoi...
Pour pouvoir lui établir sa carte de Sécurité Sociale, le Maire eut beaucoup de mal car le bougre ne s'exprimait que par geste en y mêlant rarement quelques mots isolés. Il semblait incapable de formuler une simple phrase.
Avec patience, il finit par apprendre qu'il était un orphelin. Né de parents inconnus, il passa de familles de miséreux en familles d'exploiteurs. Il y fut traité comme un chien. Partout, il trimait en échange d'une mauvaise soupe. Et il dormait dans un coin de bergerie, d'étable ou d'écurie. Mais il aimait à partager la chaleur humide des bêtes qui étaient ses seules amies.

Le Maire ne chercha pas à en savoir davantage.

o
o
o
Un amour de prostate

Il lui fut impossible d'avoir les résultats par téléphone. Xavier avait donc compris que le crabe était bien là. Mais il n'avait pas le choix, il lui fallait faire une longue route pour entendre la sinistre nouvelle de la bouche du chirurgien.
Si rien n'est fait, affirma le praticien, ce cancer, pour l'instant peu virulent, deviendra vite incontrôlable. Il faut intervenir avant que le mal ne se généralise sous forme de métastases.
J'ai combien de temps avant que…
Dans deux ans, il sera trop tard.
Seulement, deux ans à vivre !
Xavier s'était préparé au pire, mais son instinct de survie lui avait fait espérer, jusqu'au tout dernier moment, une bonne nouvelle dans le genre : Votre prostate se porte comme un charme...
Pour le chirurgien, il fallait fixer sans délai la date de l'intervention. Il avait ouvert son agenda et cherchait une date.
Cette précipitation indisposa Xavier. Découvrir et accepter l'idée qu'il était destiné à nourrir les vers de terre, lui demandait un minimum de temps !
Et surtout, il désirait avoir plus de détails sur ce qui l'attendait.
Quelles seront les séquelles?
Perte de la virilité et risques d'incontinence urinaire : autour de 50%.
Cela signifie-t-il une chance sur deux de tout perdre ? Ou être impuissant la moitié du temps, ou bien être à moitié puissant tout le temps ? et…ou se pisser dessus seulement la nuit...ou...
Le chirurgien très agacé coupa nerveusement :
Bien, réfléchissez mais pas trop longtemps ! Je peux vous garantir 10 ans de survie...
Vous ne pouvez donc pas garantir une guérison totale et définitive ?
Je suis médecin, je ne suis ni voyant, ni Dieu ! Vous avez le choix : 2 ou 10 ans...
L'urologue manquait visiblement d'humour et avait en horreur qu'un ignare mette en doute son savoir et ses décisions. Le spécialiste ne pouvait se permettre de perdre son temps avec une salle d'attente toujours bondée. Et ceci en dépit du fait que le dépistage du cancer prostatique ne soit pas une priorité.
En effet, le législateur prudent a refusé que le dépistage du cancer de la prostate soit obligatoire. En effet, les hommes, surtout vieillissants développent à 80 % ce cancer. Avec l'empressement des adeptes de l'ablation, fut ainsi évité que le gouffre béant des comptes de la Sécurité Sociale, ne devienne abyssal !
En sortant du cabinet de l'urologue, il avait pris sa décision. Il lui fallait avant de se faire charcuter, bien étudier sa maladie. Il avait deux ans devant lui.
Xavier se rappela qu'il était mortel.
Il avait enfoui au fond de ses anxiétés cette absurdité totale. Pendant une bonne semaine, il eut la trouille, une peur d'animal pris au piège. Puis il se détendit. Il n'avait mal nulle part. Il remarqua qu'il avait laissé son existence filer bêtement, avec distraction. Près de soixante ans de sa vie déjà écoulés et tout au long de toutes ces années, faites surtout de lectures, il n'avait pas eu la sagesse de jouir de la réalité de sa propre vie. Lorsqu'il sentit la gueule glacée de la mort rôder autour de lui, contre toute attente il fut plus heureux. Chaque matin, se réveiller devint une fête et ses sens en éveil, il apprécia chaque instant. Il devint sensible à tous les détails, à l'infinie variation des couleurs et des parfums. Chaque repas devint délicieux. La joie d'écouter la musique des hommes et de la nature. Il jouissait pleinement de la vraie vie. Et surtout, son amour pour Clémence se trouva magnifié. Ils se noyaient dans leur plaisir partagé et vivaient ces moments de paradis comme s'ils étaient les derniers de leurs vies…
En étudiant sa maladie comme un carabin, il découvrit que les japonais ne souffraient que rarement d'un cancer de la prostate. Ceci tant qu'ils n'abandonnaient pas leur nourriture ancestrale : Poissons crus, fruits secs, légumes et soja. Les japonais résidents en Amérique du Nord et qui se nourrissaient de hamburgers bien gras, mouraient de ce cancer comme tout le monde. Aussitôt, Xavier qui avait déjà l'âme nippone avec son amour des carpes Koïs et des poteries de raku, adopta sans hésiter le régime austère des habitants de l'île de Hokkaido.

o